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alternance, démocratie sociale, formation professionnelle, inspection du travail, projet de loi, réforme sapin
On savait que le projet de loi sur la démocratie sociale, la formation professionnelle et l’alternance devait comporter des dispositions relatives à la réforme de l’inspection du travail (ProjLoi.)
Transmises pour avis au conseil national de l’inspection du travail, celles-ci viennent d’être dévoilées.
Sans surprise, l’accent est mis sur les nouveaux pouvoirs promis par Michel SAPIN dans le cadre de sa rhétorique du ministère « plus fort » : extension des arrêts de travaux en-dehors des chantiers du BTP ; amende administrative de 10 000 euros (au maximum) par salarié en cas de non respect d’une décision d’arrêts de travaux ou d’une demande de vérifications, d’analyses ou de mesures ; possibilité d’obtenir une copie de tout document relatif « à l’objet du contrôle » ; augmentation de l’amende encourue en cas de délit d’obstacle ; enfin, mise en place de la procédure de transaction pénale et de sanctions administratives.
Comme on pouvait s’y attendre (cf mon précédent article), noyé sous ces horizons chimériques, le volet organisationnel de la réforme n’apparaît qu’en catimini. A cet égard, la réécriture de l’article L. 8112-1 du Code du travail représente la partie émergée de l’iceberg. Tout juste apprend-t-on à sa lecture que les agents de contrôle de l’inspection du travail seront les inspecteurs et contrôleurs affectés dans les unités de contrôle, les responsables de ces unités et les membres du groupe national de contrôle, d’appui et de veille.
Le reste est renvoyé soit à des dispositions réglementaires qui seront promulguées sans dialogue social dans les services ni débat démocratique au Parlement, soit – un comble ! – à des ordonnances législatives prises sur la base de l’habilitation contenue au IV du projet de loi pour notamment « déterminer les attributions des agents de contrôle de l’inspection du travail ».
Le jeu de dupes peut donc continuer.
Mes premières réactions « à chaud »…
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Quelques points positifs pour commencer
Ce projet de loi contient – tout de même ! – quelques avancées intéressantes.
A mon sens, les plus importantes concernent l’extension du droit d’accès aux documents détenus dans les entreprises ainsi que l’élargissement de la procédure d’arrêt de travaux.
- Extension du droit de communication
Il y a un certain temps déjà, j’avais expliqué, sur ce blog même, que les agents de contrôle disposent d’un droit de communication qui leur permet de se faire remettre par le chef d’entreprise ou son représentant tout une série de documents limitativement énumérés par la réglementation (registre unique du personnel, accusés de réception des déclarations préalables à l’embauche, bulletins de paie, contrats de travail, décomptes d’heures…).
Désormais, il sera possible de consulter et même d’obtenir copie de tous les « documents qui
– sont relatifs à l’objet du contrôle, quel que soit leur support et en quelques mains qu’ils se trouvent,
– et qui sont nécessaires à l’accomplissement de [la] mission » de l’agent de contrôle.
Un tel droit de communication élargi n’existe actuellement qu’en cas de suspicion de discrimination (art. L. 8113-5 du Code du travail).
Quant à la faculté d’exiger une copie, elle n’est envisagée que par les dispositions spécifiques à la lutte contre le travail illégal.
Sur ce point, le projet de loi serait de nature à faciliter nos investigations.
Un léger bémol cependant : la notion de documents « nécessaires à l’accomplissement de [la] mission » des agents de contrôle peut prêter à discussion. La réglementation prévoit en effet la tenue d’un certain nombre de documents obligatoires. Dans quelle mesure leur consultation est-elle réputée satisfaire, à elle seule, aux nécessités du contrôle ?
Aux termes de l’article L. 4731-1 du Code du travail, l’inspecteur du travail (ou le contrôleur sur délégation) peut prononcer un arrêt temporaire de travaux « sur un chantier du bâtiment et des travaux publics », en cas de risque de chute de hauteur, d’ensevelissement ou d’exposition aux poussières d’amiante.
Cette procédure est élargie à tous les secteurs d’activité et à d’autres risques.
Il sera donc possible de prononcer des arrêts de travaux non seulement sur les chantiers mais aussi dans les entreprises pour faire cesser une situation de « danger grave et imminent » résultant (notamment) :
– « de l’utilisation d’équipements de travail dépourvus de protecteurs, de dispositifs de protection ou de composants de sécurité appropriés »;
– « du risque de contact électrique direct avec des pièces nues sous tension », à l’exception des travaux qui répondent aux prescriptions réglementaires relatives aux opérations effectuées sur ou au voisinage des installations électriques (art. R. 4544-1 et suivants du Code du travail).
- Analyses physico-chimiques ou biologiques
D’autres dispositions m’apparaissent un peu plus anecdotiques.
Le dernier alinéa de l’article L. 4722-1 du Code du travail est reformulé pour permettre aux agents de contrôle de demander aux employeurs de « faire procéder à l’analyse de toutes matières (…) susceptibles de comporter ou d’émettre des agents physiques, chimiques ou biologiques dangereux ».
- Aggravation de la pénalité encourue en cas de délit d’obstacle
Actuellement fixée à un an d’emprisonnement et 3750 euros d’amende (art. L. 8114-1 du Code du travail), la pénalité encourue en cas de délit d’obstacle à l’accomplissement de la mission d’un agent de contrôle serait réévaluée à hauteur d’un an d’emprisonnement et 37 500 euros d’amende, conformément, nous dit-on dans l’exposé des motifs (ExposeMotifs), à ce qui est prévu pour les agents de la DGCCRF.
Sanctions administratives et transaction pénale : Inspecteur « plus fort » ou Inspecteur « gadget » ?
Attention, il s’agit de la grande innovation promise par Michel SAPIN !
Finies les lenteurs et l’inefficacité de la justice pénale, les employeurs en délicatesse avec le Code du travail vont désormais trembler (enfin façon de parler puisque …l’entrée en vigueur de ces dispositions est repoussée au 1er janvier 2015).
- Sanctions administratives
C’est un « dispositif innovant de sanction administrative » que nous annonce le ministère du travail dans l’exposé des motifs, « permettant à l’administration de prononcer elle-même des amendes en cas de manquements à certaines dispositions du code du travail ».
Sont concernés :
– le non respect des durées maximales de travail ou des temps de repos ;
– l’absence de tenue d’un document de décompte conforme à l’article L. 3171-2 du Code du travail;
– le non respect des dispositions relatives aux salaires minimums;
– le non respect des dispositions relatives aux installations sanitaires, d’accueil et d’hébergement (vestiaires, lavabos, réfectoire…) dans les entreprises et sur les chantiers.
L’amende encourue est de 2000 euros, pour chaque salarié concerné par les manquements relevés.
Des amendes de 10 000 euros par salarié sont en outre prévues en cas de non respect d’une décision d’arrêt de travaux ou d’une demande de vérifications, d’analyses ou de mesures.
Le délai de prescription est de deux ans.
L’exposé des motifs est étonnamment moins disert sur la transaction pénale.
A l’inverse de la sanction administrative, il s’agit d’une procédure judiciaire.
A ce titre, la rédaction et la transmission d’un procès-verbal au Procureur de la République demeurent nécessaires.
Avec l’accord du Procureur, l’administration pourra, tant que les poursuites ne sont pas diligentées, adresser une proposition de transaction aux employeurs mis en cause précisant « l’amende transactionnelle que l’auteur de l’infraction doit payer, ainsi que, le cas échéant, les obligations qui lui seront imposées ».
Cette procédure serait ouverte pour toutes les contraventions et les délits passibles d’une peine d’emprisonnement de moins d’un an, réprimés par les dispositions du Code du travail relatives notamment :
– au contrat de travail et au règlement intérieur (Livres II et III de la première partie du Code du travail) ;
– aux conventions et accords collectifs (Titre VI du Livre II de la deuxième partie du Code du Travail) ;
– aux congés payés (Livre Ier de la troisième partie du Code du travail);
– à la santé et à la sécurité (à l’exception des dispositions relatives aux installations sanitaires, d’accueil et d’hébergement qui peuvent faire l’objet d’une amende administrative – Quatrième partie du Code du travail) ;
– au contrat d’apprentissage (Titre II du Livre II de la sixième partie du Code du travail);
– à certaines professions (journalistes, employés de maison, concierges, VRP etc – Septième partie du Code du travail).
Sur le plan des principes, il me paraît difficile de se satisfaire de la disqualification du juge pénal.
Les amendes administratives et la transaction pénale ne sont jamais qu’un pis-aller qui vise à prendre acte des difficultés de fonctionnement de la justice. On le sait, les tribunaux sont engorgés et le droit pénal du travail n’a jamais été leur priorité. Au lieu de traiter cette situation, on met en place des ersatz de procédures qui sont loin d’offrir les mêmes garanties, qu’il s’agisse des droits de la défense ou de l’égalité des entreprises face à la loi.
En ce qui concerne la mise en œuvre de ces procédures, le projet de loi se réfère pudiquement à « l’autorité administrative compétente » (qui serait déterminée par décret…).
Pour les amendes, l’exposé des motifs précise – ô surprise ! – que l’autorité administrative compétente sera le DIRECCTE (en d’autres termes, le Directeur Régional). Après avoir constaté les infractions, il faudra lui adresser un rapport et ce sera donc le Directeur Régional qui décidera, d’une part, s’il y a lieu de sanctionner ou non et, d’autre part, le cas échéant, du montant de l’amende.
S’agissant de la transaction, on nous renvoie aux procédures en vigueurs au sein de la DGCCRF (art L. 141-2 du Code de la consommation) où les propositions de transaction sont transmises au Procureur de la République par :
– le chef du service national des enquêtes au sein de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ;
– le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (le DIRECCTE, tiens encore lui !) ;
– ou le directeur de la direction départementale chargée de la protection des populations.
Dans les deux cas, les sanctions seront fixées par un directeur sous statut d’emploi (certes après accord du Parquet pour les transactions, mais on le voit mal refuser alors qu’il croule sous les dossiers), perméable aux injonctions du pouvoir exécutif (préfet, ministère) ainsi qu’à toutes les influences extérieures. Des directeurs, j’en ai connu un certain nombre ; aucun ne se positionnait en droit, de manière indépendante. On ne peut d’ailleurs pas leur en vouloir : ce n’est tout simplement pas ce qui leur est demandé, compte tenu de leur mission et de leur statut.
Alors, on fera certainement des exemples, en « sanctionnant », peut-être même sévèrement, quelques petites ou moyennes entreprises, mais une chose est sûre : les employeurs un tant soit peu influents, qui disposent de réseaux et/ou de moyens de pression (ne serait-ce que le chantage à l’emploi s’il s’agit de grosses structures) n’auront pas grand-chose à craindre de ces procédures.
Pour concilier au mieux l’efficacité de la sanction avec le respect des grands principes du droit pénal (tribunal indépendant et impartial, principe du contradictoire etc), il aurait fallu recourir à la procédure de l’ordonnance pénale (cf art 524 et suivants et R. 42 et suivants du Code de procédure pénale), confiée au juge judiciaire, voire instituer une autorité administrative indépendante. Malheureusement, on l’a bien compris, pour Michel SAPIN, inspection du travail « forte » ne veut pas dire inspection du travail indépendante !
L’organisation de l’inspection du travail : l’angle mort du projet de loi
Fidèle à la méthode de « passage en force » de Michel SAPIN, le projet de loi reste très concis sur la nouvelle organisation de l’inspection du travail. Et pour cause, celle-ci est renvoyée soit à des décrets, soit à des ordonnances prises sur habilitation du Parlement.
C’est donc reconnaître que le ministre n’a ni le courage, ni même l’honnêteté intellectuelle d’inscrire dans le projet de loi toutes les mesures de nature législative que nécessite la mise en œuvre de sa réforme : après avoir organisé un simulacre de dialogue social dans son ministère, Michel SAPIN préfère demander un blanc seing pour pouvoir légiférer sans débat parlementaire, en toute tranquillité, sur « les attributions des agents de contrôle » (voir le IV 1° du projet de loi).
En l’état, le projet de loi se contente donc d’acter symboliquement l’extinction du corps des contrôleurs du travail : le plan du Code du travail ainsi que les articles relatifs aux diverses prérogatives de l’inspection du travail viseront désormais « les agents de contrôle de l’inspection du travail » et non plus les inspecteurs et contrôleurs du travail.
Pour pouvoir mettre en place les unités de contrôle voulues par le ministère, il fallait cependant tout de même – hélas – préciser qui sont ces agents de contrôle.
Le nouvel article L. 8112-1 nous apprend qu’il s’agira :
« 1° [Des] membres des corps des inspecteurs et contrôleurs du travail affectés dans une section d’inspection du travail au sein d’une unité de contrôle ou dans une unité régionale de contrôle ;
2° [Des] responsables des unités de contrôle ;
3° [Des] membres du groupe national de contrôle, d’appui et de veille. » ;
La première pierre de l’édifice étant ainsi posée, la voie est libre pour distribuer des compétences de contrôle concurrentes non seulement au sein des unités de contrôle (entre les inspecteurs et contrôleurs d’une part et les directeurs d’unités de contrôle ou DUC, d’autre part) mais aussi grâce à la création d’unités régionales aux contours non définis ainsi que d’un groupe national de contrôle. Il convient de noter à cet égard que chaque niveau (DUC compris) disposera d’une compétence propre, sur l’ensemble de la législation du travail.
Enfin, les directeurs d’unités de contrôle, chargés de « piloter » l’activité des agents de contrôle selon le bon vouloir du ministère et du directeur régional, remplaceront les inspecteurs du travail actuels qui, pour avoir autorité sur les contrôleurs du travail – dixit l’article L. 8112-5 du Code du travail, appelé à disparaître avec la réforme –, sont d’abord des agents de contrôle indépendants.
En résumé : un directeur régional à la place du juge judiciaire ; des responsables d’unités de contrôle à la place des inspecteurs. On voit très bien dans quel sens va cette réforme…