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Protection de la santé physique et mentale, amélioration des conditions de travail et application des prescriptions légales en ces matières : le CHSCT exerce une mission extrêmement large. Investir un tel champ de compétence implique non seulement le respect de principes de fonctionnement rigoureux — dont j’ai tenté de donner un aperçu dans mon précédent article — mais également la communication d’une information de qualité. Les premiers permettent de donner une traduction concrète aux grands axiomes réglementaires en matière de protection de la santé et de la sécurité. La seconde représente la matière première des avis, propositions et résolutions votés par le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail. Sans elle, le CHSCT en est réduit à pédaler dans le vide, un peu comme quelqu’un qui voudrait partir en voyage avec … un vélo d’appartement ! Rendre des avis sans s’informer, voyager sans se déplacer: dans un cas comme dans l’autre, l’imagination ne remplacera jamais l’expérience directe du réel.
Alors, pour être efficace, le CHSCT est doté de plusieurs niveaux d’information: une obligation générale, la communication d’un bilan et d’un programme annuels de prévention et, enfin, des possibilités d’expertise.
1) L’obligation générale d’information
Pas de produit final réussi sans matière première de qualité ! L’importance de l’information transmise au CHSCT au regard de la pertinence de ses travaux explique que celle-ci ait été érigée en obligation générale à la charge de l’employeur. Ainsi, aux termes de l’article L. 4614-9 du Code du travail, le CHSCT « reçoit de l’employeur les informations qui lui sont nécessaires pour l’exercice de ses missions ».
Le législateur a entendu donner aux membres du CHSCT une information qui soit à la mesure de leur rôle. On ne peut donc dissocier le fond et la forme. Les prérogatives reconnues aux CHSCT et l’information qui en garantit la mise en œuvre effective … du moins dans l’esprit des textes.
- L’analyse des risques professionnels
Sur cette base, les représentants du personnel peuvent notamment solliciter la communication des informations nécessaires à l’analyse des risques professionnels et des conditions de travail. Dans certains cas, les éléments recueillis permettront de proposer à l’employeur des actions de prévention (art. L. 4612-2 et 3 du Code du travail).
La réglementation vise spécifiquement le document unique d’évaluation des risques. Rien d’étonnant puisqu’il matérialise l’analyse des risques effectuée par l’employeur. Non seulement ce document doit être tenu à la disposition des membres (art. R. 4121-1 du Code du travail), mais les missions dévolues au CHSCT imposent à mon sens que chaque mise à jour soit discutée en réunion.
De même, les résultats des vérifications périodiques des équipements de travail et des installations (par exemple, les dispositifs de captage des polluants et la ventilation générale des locaux de travail) doivent être présentés au CHSCT et chaque membre peut en demander la transmission à tout moment (art. R. 4614-5 du Code du travail).
Enfin, les accidents du travail font également l’objet de dispositions réglementaires spécifiques: l’article L. 4614-10 du Code du travail impose une réunion « à la suite de tout accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves ». A cette occasion, le CHSCT peut décider de réaliser une enquête, confiée à une délégation comprenant au moins l’employeur et un représentant du personnel (art. R. 4612-2 du Code du travail).
- Les décisions d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité
L’article L. 4612-8 du Code du travail prescrit à l’employeur de consulter le CHSCT « avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ».
Cette consultation devra être précédée par la communication d’une information précise et complète, le CHSCT ayant la possibilité de solliciter une expertise (j’y reviendrai plus loin).
Au-delà de cette obligation, c’est en général la notion d’aménagement « important » qui pose problème et il n’est pas rare que je sois interpellé sur ce point. Par exemple, faut-il recueillir l’avis du CHSCT avant d’installer une nouvelle machine ou de modifier une ligne de production ?
Le Code du travail (cf art. L. 4612-8 précité) évoque les transformations importantes des postes de travail qui découleraient de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, ainsi que la « modification des cadences et des normes de productivité ».
Concrètement, c’est l’impact du projet de l’employeur sur les conditions de travail ou la sécurité du personnel qui permettra de déterminer si la consultation du CHSCT est obligatoire. La jurisprudence a précisé que rentraient dans ce cadre :
– la construction d’un nouvel atelier dans l’enceinte de l’entreprise ( Cass. crim., 15 mars 1994, n. 93-82109)
– Un projet de réorganisation de l’entreprise et de réduction du temps de travail (Cour d’appel de Paris, 31 mai 2000, n. 1999/00242 )
– Un projet de déménagement de 108 personnes (CA Versailles, 14e ch., 17 déc. 2003, n. 03/00795)
- Modalités de communication des informations
Après le contenu de l’information, il faut encore s’intéresser à la façon dont elle est transmise: selon qu’elle est préalable et écrite ou communiquée oralement en cours de réunion, la qualité de l’information ne sera pas la même.
Le législateur est peu disert sur cette question. L’article R. 4614-3 du Code du travail précise tout de même que les documents écrits qui seront examinés en réunion doivent être « joints à l’envoi de l’ordre du jour ».
Donc, s’il existe des documents écrits, ces derniers doivent être transmis en même temps que l’ordre du jour, c’est-à-dire, sauf urgence, au moins 15 jours avant la réunion.
A mon sens, dès lors qu’il est question de consulter le CHSCT sur un projet d’aménagement important ou de procéder à l’analyse globale d’un risque (par opposition aux questions intéressant plutôt la maintenance des installations ou des équipements: propreté de l’atelier, panne d’un chariot auto-moteur ou d’une nacelle…), la communication de documents écrits devient incontournable. C’est d’ailleurs la seule façon pour l’employeur de rapporter la preuve qu’il s’est acquitté de son obligation.
Enfin, si l’employeur ne prend pas l’initiative de solliciter le CHSCT, il est intéressant de savoir qu’il peut également être saisi par le comité d’entreprise ou par les délégués du personnel sur toute question relevant de sa compétence (art. L. 4612-13). Ces modes alternatifs de saisine, trop peu utilisés, rendront l’obligation d’information juridiquement incontestable et, surtout, permettront d’organiser un véritable débat dans l’entreprise.
C’est un rappel que je fais souvent dans mes courriers: dans les entreprises de taille moyenne (c’est-à-dire, grosso modo, de moins de 300 salariés), il est très fréquent qu’aucun bilan ni programme annuels ne soit présenté au CHSCT.
Il s’agit pourtant, à ma connaissance, des seuls documents d’information périodique que l’employeur doit spécifiquement élaborer pour le CHSCT. A travers leur examen, c’est le niveau global de sécurité ainsi que l’état des conditions de travail dans l’entreprise qui sont potentiellement soumis à un échange approfondi, prélude à la définition d’une véritable politique de prévention pour l’année à venir.
Plus précisément, l’employeur doit présenter au CHSCT:
– Un rapport annuel écrit faisant le bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans l’établissement et des actions menées au cours de l’année écoulée dans tous les domaines intéressant le champ de compétence du CHSCT. Un arrêté du 12 décembre 1985 en définit le contenu: on y trouve notamment les effectifs de l’entreprise, ventilés par catégories professionnelles, le nombre d’accidents du travail et de trajet, les taux de fréquence et de gravité, le nombre de maladies professionnelles déclarées, les faits saillants de l’année, les moyens et actions mis en oeuvre….
– Un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail. Ce programme fixe la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l’année à venir, ainsi que, pour chaque mesure, ses conditions d’exécution et l’estimation de son coût (art. L. 4612-16 du Code du travail).
Le CHSCT émet un avis sur le rapport et sur le programme annuels de prévention. A cette occasion, il peut proposer un ordre de priorité et l’adoption de mesures supplémentaires.
Le rapport et le programme annuels sont transmis par l’employeur au comité d’entreprise, accompagnés de l’avis du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (art. L. 4612-17 du Code du travail).
3) Les possibilités d’expertise
L’information communiquée par l’employeur ne suffit pas toujours. C’est pourquoi le législateur a doté le CHSCT de véritables moyens d’investigation: aux côtés des inspections, des enquêtes en cas d’accident et du droit d’alerte (lorsqu’un représentant du personnel signale une cause de danger grave et imminent), il existe deux situations dans lesquelles les représentants du personnel peuvent décider (par un vote à la majorité des membres présents) de recourir à un expert extérieur:
- un risque grave, éventuellement révélé par un accident du travail ou une maladie professionnelle, est constaté dans l’établissement (art. L. 4614-12 1° du Code du travail)
En cas de désaccord sur la possibilité d’engager une expertise, il faut que le CHSCT puisse produire des éléments tangibles permettant d’établir l’existence d’un risque grave. A titre d’illustration, les tribunaux ont reconnu l’existence d’un tel niveau de risque:
– en présence de 6 accidents, dont plusieurs mortels, survenus au sein d’un même atelier en l’espace de 18 mois
– pour des problèmes d’insonorisation et d’émanation de produits toxiques constatés depuis plus de 2 ans par le médecin du travail
– suite à des incidents et à des accidents répétés survenus durant des opérations de manutention de charges
– en cas de tension extrême et persistante dans l’établissement, caractérisée par des arrêts de travail répétés, un processus de déstabilisation générant des troubles psychologiques et des comportements proches du harcèlement moral (Cour d’appel de Versailles 24 nov. 2004, no 04/07486)
- L’employeur soumet un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (art. L. 4614-12 2° du Code du travail)
Il s’agit de la consultation du CHSCT préalable à la mise en oeuvre d’une « décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail », déjà évoquée plus haut. Cette hypothèse emporte donc deux conséquences juridiques:
– L’employeur a l’obligation de prendre l’avis du CHSCT et de l’informer
– Le CHSCT peut décider de recourir à un expert
Il a été jugé qu’un simple ajustement des horaires résultant d’un accord collectif de réduction du temps de travail ou un réaménagement de l’organigramme sans transformation des postes de travail, modification des cadences ou des normes de productivité, ne rentraient pas dans ce cadre.
Encore une fois, ce sont les conséquences du projet de l’employeur sur les conditions de travail ou la sécurité qui représentent l’élément d’appréciation déterminant.
Dans tous les cas, l’expert choisi par le CHSCT doit être agréé par les ministres chargés du travail et de l’agriculture (vous trouverez la liste ici). Les frais sont à la charge de l’employeur. En cas de contestation (sur la possibilité de recourir à l’expert, le coût ou les modalités de l’expertise….), il appartient à l’employeur de saisir le Tribunal de Grande Instance.