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Ça fait un moment que je n’ai rien publié sur ce blog. Presqu’un an !

Au-delà du manque de temps, je crois aux vertus du silence.

J’y crois fortement, intensément.

Rester silencieux pour apprivoiser une vie nouvelle avec son supplément d’autonomie et ses sujétions inévitables. En maîtriser suffisamment les arcanes pour parvenir à prendre du recul.

Et, une fois ces préalables remplis, écrire lorsque l’envie revient.

Je vais donc me hasarder à livrer ici un retour d’expérience à travers quelques articles que je rédigerai au fil de la plume, librement et sans plan préconçu ; la forme fragmentaire me convient bien.

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Un changement majeur est toujours précédé par une phase de maturation. Plus ou moins consciente, plus ou moins longue.

Dans mon cas, ce fut plutôt une lente infusion. Un sentiment de décalage durable et croissant. D’enfermement dans des dimensions professionnelles de plus en plus réduites.

Mais tourner la page après 13 ans de vie professionnelle s’apparente aussi à une forme de mort symbolique dont on ne prend pas nécessairement tout de suite la mesure.

« Comment se reconstruire, comment refaire en soi le lourd écheveau de souvenirs ? » demande Antoine de Saint-Exupéry dans « Lettre à un otage ».

Les premiers éléments de réponse ne peuvent venir qu’après un décalage dans le temps. C’est seulement quand cesse enfin la litanie obsédante des problèmes à résoudre que la chouette de Minerve prend son envol.

D’abord les semaines solitaires d’hiver passées à préparer l’épreuve de déontologie – près de 900 pages au style rédactionnel touffu à lire et à synthétiser ! Les délais d’attente puis la prestation de serment qui marque le changement d’état. C’est en plaidant pour la première fois, que je me suis vraiment senti avocat. C’était en correctionnelle, à des centaines de kilomètres du cabinet. Costume d’apparat au moment de prêter serment, la robe s’est transformée en tenue de combat.

Combien de fois, en tant qu’inspecteur du travail, ai-je été contraint de réfréner mes mots ? Que ce soit lors d’interventions au Tribunal – la correctionnelle, déjà, scène judiciaire qui m’est la plus familière – ou en interne, au sein de ma propre administration ? Combien de batailles non menées jusqu’au bout ou alors mal engagées, derrière un collectif de façade ; mosaïque illusoire de positions individuelles divergentes qui se révéleront sous la lumière aveuglante de la défaite ? Combien d’aiguillons, de doutes, d’interrogations ? Sur les perspectives qui sont les miennes, sur l’utilité de compétences acquises au prix d’efforts souvent obstinés, souvent solitaires ? Combien de mèches pour allumer le brasier où il me faudrait m’immoler pour espérer renaître ?

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La préparation est longue ; le passage est brutal. Dans sa réalisation, cette métamorphose voulue, calculée, échafaudée, s’est révélée comme un élixir qui m’aurait ramené … 13 ans en arrière, recréant – à partir des débris de la routine brisée – la fébrilité de mes débuts à l’inspection du travail. Tenir la barre, même d’une embarcation modeste, signifie aussi gérer davantage de contraintes. Tout en étant, paradoxalement, plus libre que sur un gros navire où les rôles sont distribués selon une logique opaque et mouvante, au gré des réformes et des humeurs des « chefs ». Mais cela n’équivaut pas pour autant à repartir de zéro. Si je vogue en réalité, en grande partie, à travers les mêmes eaux que celles qui me portent depuis longtemps, je peux aussi prendre le risque de m’aventurer, ponctuellement, sur d’autres territoires.

Mer agitée contre laquelle il faut sans cesse lutter pour arriver à destination, sans trop savoir si le voyage va virer au rêve ou au cauchemar et sans grand espoir d’y pêcher de quoi se nourrir car les poissons préfèrent, en général, les eaux moins turbulentes.

Ce sont là des voyages que je n’avais même pas imaginés puisque, dans mon esprit, je ne devais faire que du droit du travail. Un malentendu à propos d’une sollicitation pour une « affaire sociale » et me voila lancé dans l’étude des délits d’abus de confiance et d’escroquerie. Non sans appréhension : j’ai failli refuser la mission lorsque j’ai compris qu’elle n’avait aucun lien avec le Code du travail.

Là encore, c’était loin de chez moi. Par delà la distance, par delà les différences culturelles, un lien s’est créé. Justement parce que c’était du pénal et aussi, je pense, parce qu’il y avait un combat de fond à mener pour contribuer à l’émergence d’une autre vérité.

Les cafés furent des lieux de rencontre privilégiés. Ecouter, poser et reposer mes questions. Travailler dans l’intervalle sur le dossier, décortiquer des factures, croiser les informations. Enfin, lors d’un de nos derniers rendez-vous, j’ai échangé plus librement avec ma jeune cliente. Il ne s’agissait plus de faire du droit ou d’analyser les faits. Non, l’objectif était de la comprendre elle – son parcours et ce qu’elle a bien voulu me livrer de sa vie, ce qui est très différent – et c’est comme ça que m’est venu le goût de la défense.

La pertinence de la prestation « technique » de l’avocat conditionne bien sûr celle de la stratégie adoptée. Mais c’est cette conversation qui a inspiré le ton et la forme de ma plaidoirie. Ou, pour le dire autrement : la rigueur juridique détermine le paysage d’ensemble, les aspects humains apportent la couleur, le temps, la lumière. En un mot, tout ce qui donne vie à ce paysage.

Voilà pourquoi j’aime la défense pénale.