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Elle est cadre dans une entreprise de services à la personne. Vous savez, ces gens qui font le ménage chez vous, qui gardent vos enfants ou vos vieux grands-parents et qui viennent parfois tailler les haies de votre jardin.
Près de mille salariés, des agences implantées sur tout le territoire et un siège social au cœur de ce qui constitue pour l’instant encore mon secteur : une organisation qui apparaît d’emblée résolument complexe.
Si on ajoute à cela qu’elle est déléguée syndicale et surtout définitivement inapte à son poste de travail, on comprend qu’elle ait dû faire des kilomètres pour venir à ma rencontre. Vous me suivez ? Comme pour tout représentant du personnel, son licenciement doit être autorisé par l’inspecteur du travail. En l’occurrence moi.
Mais reprenons le fil ….
Le contrat de travail de Madame B. a été transféré à deux reprises, à la suite d’opérations de restructuration juridique – fusion ou rachat de sociétés. Dans ce secteur, comme ailleurs, les gros mangent les petits ! Son travail, lui, n’a pas trop évolué.
La suite répond malheureusement à un schéma classique : conflits répétés avec ses deux derniers employeurs, difficultés à conserver son poste, un état de santé qui se dégrade inexorablement … et puis, en début d’année, c’est l’inaptitude.
Dans son dernier avis, le médecin du travail déclare Madame B. définitivement inapte à son emploi, mais apte à un autre poste administratif « sans partie commerciale ».
L’employeur – appliquant, sans le savoir, les conseils que j’ai pu donner ailleurs –, prend la précaution de demander des précisions au médecin du travail, à travers deux échanges de correspondances dont il ressort que :
– La salariée pourrait assurer toutes les tâches « non commerciales » de son poste actuel. En fait, cela reviendrait à le vider de l’essentiel de son contenu. D’où l’avis d’inaptitude délivré par le médecin du travail ;
– Les postes d’aide à domicile ne sont pas contre-indiqués.
- L’étendue de l’obligation de reclassement : ce que dit la Cour de Cassation
Madame B. étant inapte à son poste de travail, il appartenait à l’employeur de lui proposer « un autre emploi approprié à ses capacités » comme le prescrit l’article L. 1226-2 du Code du travail. Et ce, avant de me solliciter pour autoriser son licenciement puisqu’il s’agit – je le rappelle ! – d’une salariée protégée.
Mais quelle est l’étendue exacte de l’obligation de reclassement ? Peut-on se contenter de ne proposer qu’un seul emploi au salarié, le plus proche de ses capacités restantes, comme semble l’indiquer la lettre de la disposition précitée ?
La chambre sociale de la Cour de Cassation s’est prononcée à de multiples reprises sur cette question.
Ainsi :
– C’est à l’employeur qu’il appartient d’apporter la preuve de la recherche effective des solutions de reclassement (Cass. soc. 28 mars 2007 n°06-41088) et de l’impossibilité de reclassement (Cass. soc. 7 juillet 2004 n°02-45350).
– Quelle que soit la position prise par le salarié, « l’avis d’inaptitude du médecin du travail déclarant un salarié inapte à son emploi dans l’entreprise ne dispense pas l’employeur (…) de rechercher les possibilités de reclassement (…) au sein de l’entreprise et le cas échéant du groupe auquel il appartient » (Cass. soc. 16 décembre 2010 n°09-42577 – voir également dans le même sens : Cass. soc. 15 février 2011 n°09-42137) – y compris, le cas échéant, dans les implantations situées à l’étranger (Cass soc 2 juillet 2014 n° 12-29552).
– En cas de refus d’une proposition de reclassement, il incombe à l’employeur de formuler de nouvelles propositions ou de procéder au licenciement si l’impossibilité de reclassement est avérée (Cass. soc. 19 juin 2013 n°12-12018 et Cass. soc. 9 avril 2002 n°99-44192).
Enfin, l’effort de reclassement doit être personnalisé et loyal. Dans une décision du 21 novembre 2012, la Cour de Cassation a confirmé que ne répondait pas à cette exigence « un courriel circulaire ne comportant aucune indication relative notamment à l’ancienneté, le niveau et la compétence du salarié » (Cass soc 21 novembre 2012 n°11-23629).
- Attention aux lettre-circulaires incomplètes
En pratique, dans les entreprises géographiquement dispersées, la technique du « message-circulaire » est couramment utilisée. Elle consiste à recenser les emplois disponibles, généralement à l’aide d’un courriel type adressé à tous les établissements. C’est ainsi qu’a procédé la responsable des ressources humaines de Madame B.
Mais, pour pouvoir établir l’impossibilité reclassement, encore faut-il que le recensement des emplois disponibles soit exhaustif : ce n’est que sur la base d’une telle recherche que l’employeur sera effectivement à même de proposer au salarié tous les emplois qui répondent aux indications du médecin du travail, en commençant par les plus proches du poste actuel, puis en continuant à décliner les offres, tant qu’ils n’ont pas tous été refusés.
Autrement dit, les informations adressées aux établissements (ou aux agences) doivent être complètes. En l’espèce, il n’était fait référence qu’à l’aptitude de Madame B. à un poste administratif sans partie commerciale. Pas un mot sur la possibilité de l’affecter à un poste d’aide à domicile. La nuance est de taille : l’entreprise emploie évidemment beaucoup plus d’aides à domicile que d’agents administratifs !
A l’arrivée, un seul poste d’aide à domicile (certes géographiquement proche) a été proposé à la salariée …. et aucun emploi administratif.
C’était manifestement insuffisant.
En résumé, pas de licenciement sans une recherche personnalisée, complète et loyale des possibilités de reclassement.
Et c’est à l’employeur qu’il revient d’en rapporter la preuve.