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« La peur de l’ennui est la seule excuse du travail »
Jules Renard

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Il arrive pourtant que l’on s’y ennuie au point de laisser de graves séquelles sur notre santé.

S. a vécu dans le déni de sa situation professionnelle pendant trois ans avant de faire une crise d’épilepsie au volant de son véhicule et de se réveiller le lendemain, à l’hôpital, la langue en sang.

Un neurologue lui a expliqué le mal-être dont il souffrait… Mal-être qu’il ne fallait pas prendre à la légère.

Et pour cause…

Il s’agit du bore-out, autrement dit, de l’ennui au travail.

Ce terme provient du verbe anglais « to bore » (s’ennuyer); il désigne l’abattement dont souffriraient, à ce jour, 32% de salariés européens, notamment dans le secteur tertiaire et la fonction publique.

Une « maladie » qui pourrait faire sourire dans un pays où plus de 10% de la population active est au chômage. Et pourtant…

 

Cette pathologie, conceptualisée en 2007 par Peter Werder et Philippe Rothlin au sein de leur ouvrage « Diagnosis Boreout », serait, elle aussi, – et comme le burn-out – vectrice de fatigue, d’anxiété, de troubles du sommeil, de perte d’estime de soi et de dépression.

« Il s’agit d’un manque de tâches captivantes et exigeantes, sur le plan qualitatif et/ou quantitatif au travers desquelles l’identification au travail et à l’entreprise se perd.

Le travail quotidien devient alors un «long moment » difficile à supporter et frustrant ».

Peter Werder souligne que « Quelqu’un ayant un syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui veut travailler mais ne peut pas, et donc souffre. »

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Les symptômes qui caractérisent ce syndrome sont : l’ennui, l’absence de défi, l’insuffisance de sollicitations professionnelles ainsi que le désintérêt.

Le travail n’a alors plus de sens.

Les auteurs indiquent que, si vous répondez de manière affirmative à au moins 4 questions parmi celles-ci, vous souffrez certainement de bore-out où êtes en phase d’y succomber :

  • Au travail, passez-vous du temps à des occupations personnelles ?
  • Etes-vous sous-investi ou vous ennuyez-vous ?
  • Vous arrive-t-il de faire semblant de travailler alors que vous n’avez rien à faire ?
  • Etes-vous fatigué le soir alors que votre journée n’a pas été stressante ?
  • Etes-vous malheureux dans votre travail ?
  • Trouvez-vous que votre travail n’a pas de sens ?
  • Pourriez-vous finir votre travail plus vite que vous ne le faites ?
  • Avez-vous peu ou pas d’intérêt pour votre travail ?

 

Le bore-out n’a rien à voir avec la paresse mais prive le salarié de la reconnaissance dont il a besoin afin de s’épanouir dans son activité.

L’empêchement à utiliser son intelligence créatrice est une source réelle de souffrance au travail.

Au-delà de la perte de l’estime de soi, il peut déboucher sur une crise identitaire.

La différence entre le burn-out et le bore-out est un sentiment de honte.

Dans une société qui valorise la suractivité, avoir beaucoup de travail est à la mode.

Celui qui, au contraire, n’est pas actif est honteux, il a la sensation de voler son salaire.

Il devient même coupable.

Au même titre que le burn-out, ce syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui peut conduire à la dépression, voire au passage à l’acte suicidaire.

Selon l’étude « Bored to death » réalisée en 2010 en Angleterre, il multiplie également par trois le risque de maladies cardio-vasculaires chez les salariés qui y sont exposés.

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Le bore-out représente ainsi un véritable facteur de risque psychosocial.

Il survient lorsque les aspirations du salarié diffèrent trop de son activité réelle et qu’il ne peut pas engager son intelligence au travail.

Il trouve ses racines dans l’organisation de l’entreprise ou les failles du collectif.

Il peut toucher toutes les catégories socio-professionnelles.

Les raisons au sein du quotidien de travail 

Certains contextes de travail peuvent favoriser l’apparition du bore-out :

L’absence de travail

Les commandes sont en forte diminution au sein de l’entreprise et le rythme de travail ralentit.

Le salarié ne vient plus sur son lieu de travail que pour compter les heures qui le séparent de celle à laquelle il pourra rentrer chez lui.

Des tâches ennuyeuses ou lassantes

Certains métiers tels que vigile ou hôte d’accueil sont parfois difficiles à assumer compte-tenu des journées peu rythmées et des tâches répétitives à accomplir.

Au sein d’autres professions, les travaux nobles sont accaparés par quelques-uns alors que les tâches fastidieuses et sans signification sont laissées aux autres.

La surqualification

Un salarié qui occupe une fonction qui ne correspond pas à ses compétences termine ses dossiers en peu de temps et n’est pas assez stimulé.

Il se lasse alors d’un travail répétitif sans aucun challenge à relever.

L’isolement, la mise au placard, le manque de reconnaissance

Ce sont toutes les situations où un salarié se sent inutile.

L’isolement survient lorsque les contacts avec la hiérarchie ou les collègues disparaissent.

La mise au placard concerne souvent un cadre en fin de carrière à qui l’on fait comprendre qu’il serait bien qu’il quitte la société en ne lui confiant plus aucune mission.

Ce type de situation peut être assimilé à une forme de harcèlement par le vide.

Le manque de reconnaissance s’apparente à l’absence de félicitations et de remerciements de la part du responsable.

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Les stratégies de défense

Sous une apparence fictive de stress et d’activité intense, l’objectif de l’individu en bore-out est de paraître sur-occupé, afin de ne pas recevoir d’autres tâches ennuyantes supplémentaires, voire de ne pas perdre son emploi.

Ainsi, il utilise des moyens tels que l’étirement en longueur des tâches qu’il a à accomplir ou se retranche derrière une forme de pseudo-investissement.

S’interroger sur les organisations du travail

Le non-travail est aussi parfois nécessaire pour récupérer et se ressourcer dans des situations difficiles.

Il est même une sorte de soupape de sécurité lorsque les rythmes sont trop violents.

Cependant, le bore-out résulte souvent d’une absence d’anticipation des Directions des Ressources Humaines dans les besoins en compétences, de défaillances dans la gestion des carrières ou encore de réorganisations incessantes.

L’entreprise est responsable et elle ne doit pas laisser ses collaborateurs seuls face à cette situation avec le risque de dégrader la santé physique et psychologique de ces derniers ainsi que leur employabilité.

Les organisations qui brident toute autonomie et humanité des salariés sont pathogènes.

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Rappelons-nous du livre « Absolument dé-bor-dée ou le paradoxe du fonctionnaire » d’une chargée de mission au sein d’une collectivité territoriale de province, connue sous le nom de Zoé Shepard, qui a révélé en 2010 le fonctionnement de l’administration en dénonçant le vide et l’ennui de son quotidien de travail.

« Je passe mes trois heures de travail hebdomadaire à pipeauter des notes administratives, bidouiller de vagues rapports, jouer les GO pour les délégations étrangères et hocher la tête en réunion. L’essentiel est de réussir à gaspiller son temps en prenant un air important. »

 

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Combattre, fuir ou se soumettre ?

Il est très difficile, pour les salariés concernés, d’en parler afin de se faire aider.

Mais, lorsqu’un individu s’ennuie dans son travail, quand il se trouve en sous activité, il doit en parler avec ses collègues, à ses supérieurs, aux ressources humaines, au médecin du travail ou encore faire constater la situation par l’Inspection du travail.

Il peut aussi faire appel aux membres du CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail).

Tout doit être mis en place pour mettre fin à cet isolement, à cet ennui et à cette inactivité. L’important est de rompre le silence pour retrouver une activité épanouissante.

Parce qu’au-delà d’être une source de revenu, le travail devrait aussi être une source d’épanouissement.

Il devrait pouvoir offrir des possibilités d’évolution de carrière, ce qui est malheureusement loin d’être le cas au sein de nos formes d’organisation du travail actuelles.

Si vous êtes dans cette situation, réagissez !