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Les sanctions administratives en droit du travail face au risque de double poursuite 

(3ème et dernière partie)

series-clipartCette petite chronique consacrée au principe « non bis in idem » touche donc à sa fin.

Trois articles, ce n’était pas de trop ! Trois articles pour mettre en valeur une problématique centrée sur nos Libertés Fondamentales – ni plus, ni moins  –, apparue tardivement, presque en catimini, à l’occasion des discussions sur l’introduction de nouvelles sanctions administratives en droit du travail. Vous savez, ces amendes supposées garantir une partie des droits fondamentaux reconnus aux travailleurs, balayant l’incurie du droit pénal sous les oripeaux d’une répression rénovée ? C’est dire le degré d’impréparation de cette réforme puisqu’à l’évidence, la question de l’articulation entre répression administrative et répression pénale n’a été que tardivement prise en compte par ses divers promoteurs.

Pour pallier cette négligence, un détour par la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’imposait. Une construction juridique cohérente (oserais-je dire … parfois… créative), patiente et opiniâtre. Et pourtant si maladroitement évoquée par Emmanuel Macron, lors des débats à l’Assemblée Nationale

Il est temps, maintenant, de revenir à nos sanctions administratives !

Pour mémoire (cf mon premier article), on peut distinguer deux types de sanctions administratives :

law-book-clipart-271x300– Les amendes déjà introduites. Plus précisément dans le Code de l’éducation et le Code du travail. Techniquement, elles existent puisqu’elles sont intégrées à notre législation. Mais il s’agit encore d’amendes en puissance: machines de guerre contre les contrevenants, elles ne pourront remplir leur mission qu’à partir de la promulgation des décrets et circulaires d’application ;

time-clock-clip-art– Autre vecteur de sanctions administratives : l’article 85 du projet de loi Macron. Cette fois, il s’agit d’autoriser le pouvoir exécutif à prendre une ordonnance qui couvrirait un domaine plus vaste. Celui-ci inclurait notamment les durées maximales de travail, les temps de repos et les salaires minimums. Ce faisant, il s’agirait de reprendre le contenu de la proposition de loi socialiste du 27 mars 2014, elle-même issue d’une première scorie législative, à savoir l’article 20 du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale — disposition abandonnée suite au vote négatif du Sénat en février 2014. Vous suivez ?

Cet historique tumultueux ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel.

Qu’il s’agisse des dispositions législatives déjà adoptées ou de celles qui devraient résulter de l’ordonnance promulguée sur le fondement de la loi « Macron », l’architecture globale sera a priori la même : 2000 euros par manquement et par salarié concerné ; 10 000 euros en cas de cas de non respect d’une décision d’arrêt de travaux ou d’une demande de vérifications, d’analyses ou de mesures. En ce qui concerne le détachement de travailleurs étrangers, un plafond de 10 000 euros est actuellement applicable. Le projet de loi Macron envisage de le porter à 500 000 euros.

Il est en outre précisé que, pour fixer le montant de l’amende, « l’autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges » (cf art. L. 1264-3 du Code du travail concernant le détachement de travailleurs par une entreprise étrangère ainsi que le nouvel article L. 8115-4 du Code du travail qui était prévu par la proposition de loi socialiste de mars 2014).

Cette formulation est un quasi copié-collé du principe de personnalisation des peines énoncé en ces termes par l’article 132-1 du Code pénal : « dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ».

On retrouve en grande partie les mêmes critères d’appréciation conduisant au quantum de la peine : circonstances et gravité du manquement /comportement de son auteur ; ressources de la personne mise en cause. Similitude qui évoque très clairement la finalité répressive de la peine, assise sur la « la gravité de la conduite reprochée » (CEDH 4 mars 2014 Grande Stevens contre Italie).

paralleleMais le parallèle ne s’arrête pas là ! Dans les matières qui seraient concernées par les ordonnances prises sur le fondement de la (future) loi Macron, les mêmes textes pourraient indifféremment faire l’objet d’une sanction pénale ou d’une sanction administrative. C’est dire immédiatement que les intérêts protégés – qui tiennent à la préservation de la santé et de la dignité des travailleurs – sont strictement identiques. Les pénalités encourues au titre des sanctions administratives seraient en outre nettement supérieures aux amendes pénales : 2000 euros par salarié concerné (contre 750 euros pour les contraventions en matière du durée du travail ou 1500 euros pour celles ayant trait au non-respect des dispositions relatives au salaire minimum).

Il faut souligner également la relative sévérité de ces sanctions. Une entreprise de 50 salariés – seuil d’effectif non exceptionnel – qui n’établirait pas de document de décompte de la durée du travail serait ainsi passible de 100 000 euros d’amende. Pour les amendes administratives déjà en place en matière de détachement sur le sol français, le projet de loi Macron envisage de relever le plafond à 500 000 euros. Là encore, on est clairement dans le « champ pénal », tel qu’il peut être délimité par la jurisprudence de la CEDH.  

Enfin, si le fondement légal des poursuites est le même, les éléments constitutifs des manquements poursuivis sous couvert d’infraction pénale ou administrative seront également identiques. Par définition. Mêmes textes, mêmes faits !

Au final, l’application de l’article 4 du 7ème Protocole de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ne fait guère de doute. Conséquence immédiate : aucune nouvelle poursuite ne peut être engagée à l’encontre d’une personne qui a déjà fait l’objet d’une décision définitive.

La simplicité n’est toutefois qu’apparente. Autant le principe s’énonce facilement, autant sa mise en œuvre apparaît beaucoup moins aisée. C’est qu’il faut en effet composer avec une double partition. Bien sûr la dualité autorité administrative/autorité judiciaire. Mais aussi la séparation entre autorité de poursuite et autorité de jugement. Et pour compliquer le tout, les poursuites peuvent parfois être déclenchées par la victime de l’infraction (en clair, s’agissant de contraventions, par le biais d’une citation directe).

Il ne suffit donc pas de donner une possibilité d’option à « l’agent de contrôle de l’inspection du travail » comme le fait la proposition de loi de mars 2014.

Différentes interactions sont en effet envisageables :

  • Si le Direccte (Directeur Régional des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi) ne fait pas droit à la demande de sanction émanant de l’agent de contrôle, ne serait-il pas opportun que celui-ci puisse adresser un procès-verbal au Parquet ? Réciproquement, si le Parquet prononce un classement sans suite, ne faudrait-il pas que l’agent de contrôle puisse saisir le Direccte ? C’est la question des procédures successives.

  • Mais se pose également la question des poursuites concurrentes. Là encore, donner le choix à l’agent de contrôle ne résout rien. Car si le Direccte ne peut être saisi que par l’agent de contrôle, le Procureur peut l’être par n’importe qui : une victime, un témoin, une autre administration, un délateur anonyme… ou, plus généralement, quiconque détiendrait des informations en rapport avec une infraction. Et, encore une fois, les victimes peuvent, à certaines conditions, saisir elles-mêmes la juridiction de jugement par le biais d’une citation directe.

Dans tous les cas, l’étape déterminante est celle de l’engagement effectif des poursuites : c’est-à-dire la mise en cause de l’employeur dans le cadre de la procédure administrative ou la saisine de la juridiction de jugement par le Procureur ou la partie civile.

C’est à ce moment stratégique qu’il faut se placer pour assurer le respect du principe non bis in idem. Partant de là, deux solutions sont concevables :

gaspillage

  1. Une lecture minimaliste. Il s’agirait d’arrêter les poursuites administratives uniquement en cas de décision définitive de l’autorité judiciaire et vice-versa. Autrement dit, les procédures concomitantes pourraient persister jusqu’à ce que l’autorité administrative ou les tribunaux rendent une décision définitive. Et ce, alors même qu’on sait dès le départ qu’une des deux procédures ne pourra pas aboutir. Beau gaspillage de temps et d’énergie !

  2. complexiteUne lecture plus extensive consisterait à interdire les poursuites judiciaire en cas d’engagement d’une procédure de sanction administrative et, symétriquement, à interdire l’engagement d’une procédure administrative en cas de poursuite judiciaire.

    Pour atteindre ce résultat, il serait souhaitable que l’administration et le Parquet s’informent réciproquement. En cas de saisine de la juridiction de jugement par citation directe de la partie civile, c’est au Parquet qu’il reviendrait de faire état de l’existence d’une procédure parallèle. Mais encore faut-il que les informations soient exploitées et, le cas échéant, mises en relation avec une action en cours au sein de la DIRECCTE ou de l’administration judiciaire.

Ou alors c’est l’employeur mis en cause qui finira – à plus ou moins brève échéance – par se prévaloir des doubles poursuites en guise de moyen de défense. Ce qui fera assurément mauvais genre si on part du principe que celles-ci doivent être prohibées, tant pour des raisons de bonne administration que de sauvegarde des Libertés Fondamentales.

Bref, la partie est loin d’être gagnée.